-Votre musique est liée à la politique, à la religion. Le diable porrait vous filer un mauvais coup...
-Le diable n'a pas de pouvoir sur moi. S'il peut émettre une vibration négative dans ma tête, c'est quand je vous regarde de haut, alors là, oui, je sens quelque chose de négatif. Et si le diable vient vers moi et que je lui serre la main, man, alors là, ça chauffe. Il ne faut pas tuer le diable, car c'est un bon ami.
-Le diable, un bon ami?
-Yeah, ça peut être un bon copain.
-Vraiment
-Oui. Quand on ne le connaît pas, c'est là qu'il peut t'écraser et te jouer des tours. Il se planque derrière toi. Mais dès que tu le connais, tu lui dis: "Ahhhh! Ne me fais pas ce coup-là, je connais le truc."(

).
-Vous le connaissez bien?
-Ah oui, je le connais vraiment bien.
-Comment avez-vous fait sa connaissance?
-Au fil des ans. Parfois ça m'arrive d'être un peu négatif. Le diable pense à tout, mais si tu agis comme il faut, c'est que Jah est présent.
-En pensant à la politique, je me suis dit que quelqu'un pourrait avoir envie de vous descendre sur scène. Cela vous arrive-t-il d'y penser?
-Me tirer dessus quand je suis sur scène? Vraiment? Eh bien!
-Y'a-t-il quelque chose dont vous ayez peur?
-Non. Je ne suis pas un grand nageur donc je ne nage pas où c'est profond ni trop loin. Je connais le danger et je ne ferais rien qui puisse attenter à ma vie.
-Vous avez parlé du bien et de la méchanceté. Comment distinguez-vous l'un et l'autre? Certains disent que vous avez sept enfants et pas d'épouse et que c'est mal. Comme fumer de l'herbe: pour vous, c'est bien. Alors qui a raison?
-La réponse est en toi, man. Tant que je ne te fais aucun mal, je dois être un type bien.
-On sait de l'intérieur ce qui est bien.
-Et ce qui est mal. Tout le monde peut faire des erreurs par inadvertance et certains croiront que vous l'avez fait exprès. On le sait, nous, si on a fait bien ou mal. Ton coeur parle. Parfois, le diable a la mission de te faire mal agir. En fait, je n'aime pas trop penser au monde actuel. Je suis fait pour le futur! Tous les enfants, c'est pour eux qu'on est ici.
-Vousparlez du futur et d'oublier le passé. Vous pensez au passé?
-Je dis dans une chanson: "You can't forget your past".
-Et qu'apprenez-vous de votre passé?
-L'expérience.
-Hier, vous me disiez qu'on apprend beaucoup en fumant de l'herbe.
-Pour tout vous dire, quand je fume de l'herbe, je vois ma vraie perssonnalité. Si tu fais quelque chose de mal, la vérité apparît à tes yeux, ta conscience te révèle clairement à toi-même: c'est toi à travers l'herbe. Et pourquoi? Parce que l'herbe te fait méditer. C'est bien sûr possible de le faire sans herbe, si tu es dans un endroit tranquille. Mais les endroits tranquilles n'existent pas.. Même dans les bois, les oiseaux peuvent chanter et tu pourras peut-être méditer sur le son de leur chants, et soudain l'oiseau à côté de toi se met à faire cui-cui et là, ça peut déranger ta méditation. S'il y a du bruit ou du mouvement, impossible de se concentrer et la seule façon d'y arriver, c'est de fumer.
-Prenez-vous d'autres drogues?
-Non.
-Vous fumez de l'herbe tous les jours? Vous avez commencé à quel âge?
-(

) Cela ne fait pas si longtemps, mais un p'tit bout d'temps quand même: huit ou nef ans.
-Vous vous en êtes déja passé?
-Oui. Pendant neuf mois, six mois, trois mois ou trois jours.
-Vous vous sentiez comment?
-Je savais bien que quelque chose me manquait, mais ça allait. C'était l'époque où j'ai quitté la Jamaîque pour vivre en Amérique avec ma mère. J'habitais dans le Delaware et je jouais un peu de musique au sous-sol, puis j'ai trouvé un boulot à mi-temps chez Chrysler: je portais des pièces (

)
-Vous avez écrit beaucoup de chansons pendant cette période?
-Ouais, quelques nice songs comme "Bend Doxn Low" et "Mellow Mood".
-Il vous faut combien de temps pour écrire une chanson? Ca va vite, ça vient naturellement?
-Parfois. Mais comme je ne me sers pas de magnéto, beaucoup de mes meilleurs chansons se sont évanouies. Celles-là, on ne les entendra jamais. Elles viennent comme un rêve -je rêve beaucoup - et quand on se lève, plus rien!
-Les paroles aussi vous viennent en rêve?
-J'aime les mots... et l'inspiration me vient par des visions.
-Des visions! Vous avez souvent des visions.
-Oui, j'ai des visions. Par exemple, je me repose et Jah me fait apparaître une vision et, aprè, ça arrive dans la réalité. Si quelque chose de négatif se prépare, je le sais d'avance.
-Vous disiez hier que votre musique a été piratée par les capitalistes. Cela vous a-t-il mis en colère?
-Pas trop, non. En fait, je peux m'énerver rapidement et tout oublier aussitôt. Chez moi, ça ne dure jamais longtemps.
-Vous avez vécu dans une ferme?
-Oui, pour cultiver, des plantes, de la nourriture. J'adore les arbres, surtout les arbres fruitiers, m'amuser avec les oiseaux, ce genre de choses.
-Vous seriez prêt à vous installer en Afrique?
-Bien sûr, man. Si ça en vaut la peine, par la grâce de Jah. Je ne tiens pas trop à décider quoi que ce soit, Jah s'en occupe, tu vois.
-Avez-vous le sentiment d'avoir une mission à remplir, faire connaître cette musique et son message autour du monde?
-Sans dire vraiment oui, je ressens comme une obligation.
-Eric Clapton a repris "I Shot The Sheriff" et cette chanson marche bien aux Etats-Unis. Ca vous inspire quoi?
-Beaucoup de gens vont entendre ce que j'ai à dire et ça me fait plaisir. Tout arrive comme Dieu l'a prévu.
-Comment trouvez-vous l'enregistrement de Clapton?
-Bien. J'apprécie la façon dont il l'a fait.
-Vous avez aussi rencontré Georges Harrison, entre autres. Il signifie quoi pour vous?
-J'adore rencontrer des musiciens car Dieu dit "The Singers and the players of instruments shall be there". Les vrais musiciens pensent différemment de tout le monde. Il y a ceux qui suivent le mouvement et les vrais, ceux qui créent. J'adore les gens qui créent.
-Sur scène, vous avez presque toujours les yeux fermés.
-Yeah.
-Que ressentez-vous sur scène, que voyez-vous?
-J'entre dans la musique, et je vais dans des tas d'endroits. Parfois je ne me souviens pas où je suis allé. Le propre de la musique, c'est de vous transporter ailleur.
-Vous lisez ce qu'on écrit sur vous?
-Ca m'arrive, mais dès que ça me dérange, j'arrête. Je peux comprendre que certains ne saisissent pas tout ce que je dis, de même, quand on raconte qu'on se met de la cire dans les cheveux pour faire tenir les nattes, je réponds que s'il en était ainsi, je n'aurais jamais porté de locks. Vous m'imaginez en train de coller mes cheveux pour leur donner ce look?
-Vous les tressez?
-Même pas. C'est la nature qui leur donne cette forme. La nature."
(Recueille à Los Angeles en 1975 par Richard Cromlin)