Vers une interdiction des logiciels libres ?
Un amendement VU/SACEM/BSA interdit les logiciels non équipés de mesures techniques
Un amendement au projet de loi DADVSI, ayant pour objectif d'assimiler à un délit de contrefaçon, l'édition, la diffusion et la promotion de tout logiciel susceptible d'être utilisé pour mettre à disposition des informations protégées par le droit d'auteur et n'intégrant pas un dispositif de contrôle et de traçage de l'usage privé (mesure technique). Tout logiciel permettant le téléchargement comme certains logiciels de discussion instantané (chat), tout logiciel serveur est concerné (P2P, HTTP, FTP, SSH, ...). Cet amendement surréaliste a été rédigé à l'origine par Vivendi Universal, puis retravaillé par plusieurs membres de la commission Sirinelli, une commission du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique.
En plus de constituer une mise à mort dans les règles de l'art du droit de publier un logiciel libre permettant de mettre à disposition des informations par voie électronique[1] - et donc de porter atteinte à la liberté d'expression et au droit moral de divulgation des auteurs de logiciel libre, l'impact prévisible sur l'innovation ("chilling effect") et la libre concurrence de cet amendement est évident. Demain, tout logiciel permettant un usage nouveau devra passer par le filtre des majors. Tout logiciel n'embarquant pas un logiciel espion Microsoft, Sony ou Apple sera illégal.
Cet amendement semble s'inspirer du projet de loi SSSCA/CBDTPA, un projet de loi américain qui fut finalement rejeté tant il menaçait l'économie et la sécurité économique nationale américaine.
À l'époque, la branche américaine de l'ACM, une association d'informaticiens fondée en 1947, et comptant 80 000 membres, écrivit au sénateur portant ce projet de loi :
In our society, we have achieved technological excellence, research leadership, and educational preeminence in the world through the free exchange of information and the freedom to innovate. Copyright was intended to support those goals, not restrict them for entertainment companies. The explicit embodiment of "fair use" provisions in the law has contributed to our many successes. Any further legislative action - such as the SSSCA - which focuses on constraining or outlawing technology instead of penalizing behavior can only serve to weaken our educational systems, impede our technological dominance, and interfere with our electronic security.[2]
Cela s'applique parfaitement à l'amendement VU/SACEM/BSA... hormis le fait que la France n'est pas en situation de "technological dominance"...
Est assimilé à un délit de contrefaçon :
* 1° Le fait, en connaissance de cause, d'éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition non autorisée au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit littéraire et artistique qui ne comprend pas les mesures pour, en l'état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé.
* 2° Le fait d'éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel autre que celui visé au 1° ci-dessus, dès lors que, ayant connaissance de ce que ledit logiciel est manifestement utilisé pour la la mise à disposition non autorisée au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit littéraire et artistique, l'éditeur n'a pas pris les mesures pour, en l'état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé.
* 3° Le fait, en connaissance de cause, de promouvoir directement la mise à disposition du public sous quelque forme que ce soit ou l'utilisation d'un logiciel visé au 1° et 2° ci-dessus.
* 4° Les dispositions ci-dessus s'appliquent sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L121-7 du Code Pénal et de celles propres à la loi du 21 juin 2004.
Notes :
[1] - Il n'est pas possible de faire une mesure technique en logiciel libre étant donné qu'une mesure technique vise le contrôle de l'ordinateur via des mécanismes protégés par le secret, soit tout le contraire du logiciel libre qui permet la maîtrise du système par l'utilisateur via l'ouverture du code. Voir la note communiquée au cabinet du ministre de l'industrie.
[2] - ACM, USACM Letter to Sen. Hollings on SSSCA, 2001 http://www.eff.org/IP/SSSCA_CBDTPA/20010926_usacm_hollings_letter.html
Réaction : 'Comment occulter les lois ?'
Bertrand Bruller, professeur à l'Ecole Centrale Paris, et co-animateur d'une association sur le Logiciel Libre, réagit vivement:
"Tous les moyens sont bons pour que l'industrie de l'audiovisuel maintienne ses marges sur les produits ! L'argument de l'accès à la culture que cette industrie évoque, est aussi éculé que le thème de la liberté pour les partis d'extrême droite révisionnises.
Nous avons vu l'ancien Ministre de l'industrie, Patrick Devejian, approuver le projet de brevet du logiciel alors que le Président Chirac avait promis le contraire. L'ancien ministre n'est pas sorti grandi de cette pantalonnade.
On peut considérer que tout est possible d'un gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, concernant un dossier très technique pour peu qu'il soit manipulé en coulisse par un lobby puissant.
Si l'on examine la composition de cette commission du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, dite commission Sirinelli, on se trouve devant un tribunal digne des "animaux malades de la Peste" par Jean de La Fontaine.
Tous les représentants ont des intérêts liés à l'industrie audiovisuelle. On est sûr que leur recommandation ira dans le sens voulu par les industries audiovisuelles, lesquelles sont totalement indifférente aux intérêts du logiciel libre.
Nous en sommes à envisager de poursuivre l'inventeur de la pince monseigneur pour les délits que ce sympathique outil aurait permis de réaliser. Et, pendant que l'on y est, pourquoi ne pas interdire le PC parce qu'il est un outil susceptible d'entraver les intérêts de Vivendi! Sur le plan juridique, l'intention ne crée pas le délit mais la possession d'un outil avec lequel il est possible de commettre un délit, va constituer un autre délit. Gare aux possesseurs de cures dents.
Nous tendons ainsi, petit à petit, vers une démocratie dite en catimini qui consiste à "cacher des lois", dans des textes anodins. Nous savons que le Conseil Constitutionnel adore ce genre de pratique.
La dimension mondiale d'Internet rend ce genre de loi inopérant, mais en revanche couvre de ridicule un gouvernement qui n'a pas besoin, en ce moment, de ce genre de publicité."
http://www.onnouscachetout.com/themes/nom/interdiction-des-logiciels-libres.php