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ANTHONY B & les Bobo Shanti




"More Love is I and I speech." Anthony B



Le terme «Bobo»(1) suscite, depuis plusieurs années déjà, de très vives polémiques tant dans le milieu dancehall qu’au sein du mouvement Rastafari lui-même. Une évidence semble aujourd’hui s’imposer d’elle même : certains se servent d’un nom plus qu’ils ne le servent. Fondée en 1958 par Prince Emmanuel Charles Edwards, cette communauté semble en effet bien éloignée des lyrics enflammés qui s’en réclament. Cet entretien(2) avec Anthony B devrait dissiper un certain nombre de confusions.



"Rasta is not a religion"


« Rasta est un homme simple. En tant qu’hommes noirs, nous avons été déportés dans l’hémisphère occidental durant l’esclavage. La Jamaïque n’est pas la maison de l’homme noir. L’Afrique est la maison de l’homme noir. Nous avons recherché dans notre passé l’histoire authentique de l’homme noir, bien avant les temps babyloniens, bien avant la période grecque, bien avant les invasions romaines. Bien avant ces époques lointaines et ces anciennes cultures, nous étions déjà rastafariens. Nous étions là avant l’invention des ciseaux et des peignes. Je ne vois pas Rasta comme une religion. Selon ma philosophie, je vois Rasta comme une façon personnelle de retrouver sa vraie nature individuelle. Compares toi à un arbre, ton destin naturel n’est pas d’être coupé ou élagué par des machettes. Il faut respecter l’ordre des choses. Si tu coupes tes cheveux, ils vont repousser. Les choses n’existent pas sans raison. Le soleil apporte de l’énergie à la terre, sans lui le globe serait déjà mort. Il en va de même pour les hommes. Chaque chose a sa raison d’être. C’est pourquoi un Rasta est un homme simple qui respecte la vie telle qu’elle est. Rasta est un homme qui retrouve sa véritable identité. »


"Rasta is a natural way of life"


« Rasta n’est pas un homme corrompu par la religion. De nombreux enfants sont influencés par des croyances religieuses inculquées par leur entourage familial sans qu’ils aient eu le temps de rechercher la vérité en eux-mêmes. Les religieux parlent tous de la même chose mais lorsqu’ils nous encouragent à nous rapprocher de Dieu, ils nous séparent de lui. Leurs opinions nous divisent. C’est la raison pour laquelle, je ne conçois pas Rasta comme étant une religion. A mes yeux, Rasta est un mode de vie naturel. Quelles que soient l’école ou la nation d’où tu viens, un plus un fait deux. Que tu sois noir, jaune ou blanc, tout cela est factuel, la vérité est que un plus un fait deux. Rasta est cette vérité. Nous recherchons notre vérité intérieure. La plupart des gens adoptent l’identité de leurs parents. Si tes parents sont juifs, tu deviendras juifs, si tes parents sont catholiques, tu deviens catholique, et ainsi de suite... Mais pour se réaliser pleinement, il est important que tu te poses cette question : qui suis-je ? Pourquoi suis-je devenu comme cela ? Pour quelle raison dois-je dire cela ? Rasta n’est pas une opinion, mais une voie permettant de se découvrir et de se connaître profondément. Un Rasta n’est pas guidé ou influencé par une force politique, religieuse, nationale, traditionnelle ou parentale. Un rastafarien est capable de vivre et de penser librement, sans toutes ces pressions. Depuis mon enfance, je sens Rastafari au cœur de moi. Rastafari a toujours été en moi spirituellement et physiquement.»




House of Bobo Shanti


« Les Bobo Shanti représentent la partie ecclésiastique (« churchicall ») du mouvement Rastafari. Au sein des Bobo Shanti, tu trouveras des prêtres. Chez les Nyabinghi, tu trouveras des combattants (Warriors). Les Nyabinghi utilisent les percussions et chantent « death to whites and blacks downpressors » (« mort aux oppresseurs noirs et blancs »).
Les Douze Tribus constituent la part gouvernementale de Rastafari. Ils sont implantés en de nombreux endroits et se réunissent en congrégation pour discuter sur des thèmes comme le rapatriement ou la réparation. Les Bobo Shanti sont la fondation rédemptrice prophétisée par Marcus Garvey selon laquelle à 10 miles de la ville sanglante (Kingston), vous trouverez un homme de droiture qui vous enseignera l’antique chemin de l’Ethiopie. Le chemin que nous devrions tous suivre. Cet enseignement n’est pas racial mais universel. Nous sommes tous Un quelles que soient nos différences de couleur de peau. Je suis Bobo, tu peux devenir Bobo, l’être humain est Un. L’enseignement de Rastafari repose sur la tolérance. Les Bobo Shanti savent que la paix n’est possible qu’à travers la tolérance. »


Holy Trinity : Priest & Prophet & King


« Le prêtre est l’homme qui te délivre son enseignement concernant la livity, le sabbat(4), le salut et la partie spirituelle de la vie, la façon de prier notre roi Haïle Selassie I. Nous sommes les descendants de cette antique lignée qui nous rattache à l ‘Ethiopie, terre qui n’a été colonisée par personne. Haïlé Sélassié I est notre King qui défend notre foi et notre tradition. Nous voyons Marcus Garvey comme l’homme qui nous a éclairé. Il nous a prouvé que nous pouvions être éduqués, être organisés. Son organisation l’a démontré et c’est pourquoi nous le considérons comme notre prophète. Marcus Garvey nous a ainsi expliqué que si les blancs voient Dieu à leur propre image, nous devions nous aussi voir le créateur à travers notre regard d’homme noir. Il nous a dit regarder en direction l’Ethiopie pour trouver notre roi et notre Dieu. C’est pourquoi nous considérons Haïlé Sélassié comme le Roi, Marcus Garvey comme le Prophète et Emmanuel comme le Prêtre. Lorsque vous vous rendez au camp des Bobo Shanti à Bull Bay (3), c’est comme si vous étiez dans le Zion. Emmanuel défend l’aspect spirituel du mouvement Rastafari. Il nous enseigne qu’il ne faut pas chercher les réponses en dehors de nous-mêmes, que la vérité se trouve à l’intérieur de nous. Tel est l’enseignement d’Emmanuel. Il préserve notre salut. L’enseignement de Marcus Garvey nous incite à apprendre à lire et à écrire, à nous dépasser. Il nous enseigne que nous sommes tous égaux. Sans la vision du prophète, la nation va mourir. Sans le salut, il n’y a pas d’élévation spirituelle, pas d’amour ni de tolérance. Sans le Roi, il n’ y a plus de terre ancestrale. C’est le sens de notre Trinité. »



Rasta don’t deal with politics


« Rasta pourrait faire une révolution en Jamaïque. Le gouvernement doit être changé de façon totale. Les leaders devraient être choisis par le peuple et vivre avec le peuple. Mais un rastaman qui chercherait à gagner un siège au sein du gouvernement composé par les mêmes dirigeants ne pourrait rien changer. Ce n’est pas possible de représenter le peuple en compagnie de dirigeants corrompus. Je ne vois pas comment Rasta pourrait changer quoi que ce soit dans ce système politique crée par les Anglais, régi par l’esprit colonial et les mensonges racistes. Certains descendants des esclavagistes et de la plantocratie d’hier se retrouvent au gouvernement aujourd’hui. C’est une nouvelle forme d’esclavage. Certaines choses ne changent pas. En tant que Rastaman connaissant l’histoire, je ne conseillerai pas aux jeunes de s’investir dans la politique. La révolution ne doit pas être sanglante mais pacifique. »

Priest and Bobo Ambassador


« Je me considère comme un ambassadeur de l’ordre des Bobo Shanti. Selon Prince Emmanuel, le devoir du prêtre est de demeurer 24 heures par jour dans l’enceinte du camp de telle sorte qu’une personne désirant prier puisse vous trouver à n’importe quelle heure de la journée. Etant dans la musique reggae, en tournée aux quatre coins du monde, ma position est celle d’un ambassadeur délivrant des messages à ceux qui ne connaissent pas ce mouvement. Il faut prendre le temps pour expliquer que les Bobo font partie du même mouvement Rastafari auquel appartenait Bob Marley mais à un niveau plus ecclésiastique, sacerdotal. Les prêtres Bobo ressemblent à ces moines ermites des temps anciens qui se retiraient volontairement de la civilisation.»




”La Ligue des Impératrices”


Fondée le 23 mars 1980, la « Ligue des Impératrices » regroupe un certain nombre de femmes affiliées à l’ordre des Bobo Shanti. Le texte(5) ci-dessous témoigne explicitement du rigorisme des règles de vie communautaires des Bobo.



« Salutations au nom du Très Haut, le Dieu de Vie, qui vit universellement dans la chair de chacun. Paix et amour et joie à toute femme, en particulier à toute Princesse Royale Ethiopienne. Nous sommes la Ligue d’Emancipation et de Libération de la Femme du Congrès Noir International Ethiopie Afrique (EABIC) qui représente toute femme de descendance éthiopienne dispersée aux quatre coins du monde par l’esclavage. Nous voulons ramener la femme de toutes les races au droit d’elle-même, vivant selon les principes et l’intégrité de notre Mère de la Création, la Première Marie Noire, la Reine Omega. Nous, les impératrices royales de la ligue d’émancipation et de libération de la femme de l’EABIC, nous maintenons dans la plénitude de notre féminité avec notre digne Fondateur, Leader, Président, Dieu et Roi, l’Honorable Prince Emmanuel Charles Edwards, le Christ Noir, il est notre puissant rédempteur venu à nous avec son salut, dans le vrai principe de la Suprématie Noire pour que toutes les femmes puissent se construire en Bien et s’accomplir dans la fidélité au Christ Noir incarné. »



« Nous appelons toutes le femmes qui veulent vivre dans la droiture et adhérer aux lois et commandements énoncés dans l’exode 20 et 31. Nous vivons selon les principes des 21 jours de séparation et de purification et les quatre mois de purification après la naissance d’un enfant (Lévitique 12 &15 : 19 :33). Ayant été déportées en captivité par les forces du colonialisme et de l’impérialisme blanc, nous, les Femmes Noires Ethiopiennes, avons été torturées, battues, afin que nous renoncions à nos principes issus de la Création et nous faire adopter les principes maléfiques de la sorcière rahab-babylone. La Ligue d’émancipation et de libération de la femme de l’EABIC appelle toutes les femmes à rejeter les manières de la sorcière et à vivre selon les principes de la Droiture, ainsi le Seigneur bâtira un temple de droiture en I&I, la Maison Noire d’Israël. Les femmes ne doivent utiliser aucune forme de contraception artificielle. Les méthodes de contraception et d’avortement sont une invention du mal en opposition avec les lois naturelles de la Vie et c’est une abomination aux yeux de Jahovia Dieu Jah Rastafari. Si vous avez un problème avec la taille de votre famille appliquez ces principes de droiture en suivant le principe de 21 jours de purification, une méthode de self control naturelle. Femme Noire regarde en ta vie et vois comment tu vis. »




Prince Alla & Prince Emmanuel


Nous avons récemment rencontré Prince Alla (6) lors de la première édition du festival Sun & Sounds à Royère de Vassivière. Il nous livre ici son expérience au sein du camp Bobo dirigé par Prince Emmanuel :



« Ce jour là, le temps était couvert. Alors que je marchais sous ce ciel très nuageux, j’ai aperçu un Rastaman de petite taille qui s’approchait dans ma direction en prononçant les paroles suivantes « Jugement ! Jugement ! Peuple, soyez droit ! Accomplissez le Bien ! » Cet homme portait un turban et il évoquait pour moi un prophète des temps bibliques. Il s’est alors adressé à moi et m’a dit : « Jeune homme, je connais un homme de droiture impériale qui vit à Spanish Town Road. Tu dois le rencontrer. Son nom est Emmanuel. Cet homme est venu pour nous ramener en Afrique. » Je me suis alors rendu au camp et j’ai écouté les enseignements sur la Livity, l’égalité et la Justice, l’amour et la vie. Ses mots se sont incarnés en moi et depuis lors je n’ai jamais entendu de discours d’un telle beauté. Les principes que nous dispensait Prince Emmanuel étaient fondés sur l’amour, l’égalité et la justice. Toujours ! Durant les quelques années que j’ai passé dans le camp, je n’ai jamais entendu de paroles haineuses ou belliqueuses. Cet homme nous montrait la voie, il permettait aux nombreux jeunes qui fréquentait le camp de vivre sans mensonges, en harmonie. Les youths adoraient venir écouter les enseignements de Prince Emmanuel. Il était comme un père pour tous ces jeunes »




Historique



- 1915 : Naissance de Prince Emmanuel dans la commune de St Elizabeth.
- 1930 : Il s’installe à Kingston et assiste aux discours de Garvey.
- 1953 : Prince Emmanuel est devenu un aîné influent et dispose de son propre camp à Back O’Wall.
- 1958 : Prince Emmanuel convoque la première Convention Nyabinghi de l’île. La création de l’ordre Bobo date du premier mars, le camp se situe au 54B Spanish Town Road à Kingston.



- 1966 : Prince Emmanuel fait partie des 31 aînés rastas qui rencontrent Haïle Sélassie Ier lors de sa visite officielle en Jamaïque.
- 1972 : Prince Emmanuel installe son camp à Bull Bay à 10 miles à l’est de Kingston.
- 1990-91 : Délégations Bobo en Afrique. Implantation au Ghana et Nigeria.
- 1994 : disparition de Prince Emmanuel.
- 2002 : Depuis leur visite en Ethiopie en 1992, les Bobo ont officiellement un camp à Shashamane. Leur présence est néanmoins plus nombreuse au Ghana.





Notes :

1- On trouve également les dénominations et les orthographes suivantes : Bobo Dread ; Bobo Ashanti ; Bobo Shanty ; Boboshanti ; Emmanuelites ; Edwardites. La dénomination exacte de cet ordre est : Ethiopia Africa Black International Congress (EABIC) Church of Salvation.
2- Entretien daté du 24/04/2005. Big up à Bamba Prod.
3- Plusieurs expressions désignent ce lieu “Zion Hill » ; « Nine Miles » ; « City on a Hill » ; « Mount Zion »…
4- Les Bobo observent le Sabbat le samedi et jeûnent de midi à six heures du soir. Vêtus de blancs, ils ne doivent ce jour là ni travailler ni dépenser de l’argent.
5-Texte extrait d’un fascicule intitulé « Rasta Womb-Man, La Femme Rasta », pp. 31-32 (contact info : sis_inice@yahoo.fr).
6-Entretien daté du 30 juillet 2005. Many thanks to Asher, Nicole & Marie of course.



TEXTE : BORIS LUTANIE / PHOTOS de SANDRA DAVEAU



Dossier publié dans Ragga n°66 (septembre 2005), pages 26-31.

http://www.webzinemaker.com/admi/m1/page.php3?num_web=2584&rubr=3&id=276041