Sous les pédés la plage...
Sous les pédés la plage...
Par loran-kristian U
Depuis la montée en puissance des « chants de feu » jamaïcains, dans les Antilles créoles sous domination française, l'heure est à l'intolérance mimétique. A peu près la totalité des sounds systems et des DJ pays font désormais l'apologie de l'homophobie et de l'extermination homosexuelle. Des plus anciens aux jeunes valeurs montantes, les voix des ghetto-youths reprennent en cur les refrains et les rengaines anti-battyman et anti-lesbian, appelant l'ensemble des Massiv à une véritable croisade purificatrice contre ces suppôts sataniques, ces pervers que Babylone construit dans la haine des Hommes de bien. Leur leïtmotiv : More fire ! Un appel à une révolte enflammée brûlant le Babylon-shitstem et toute sa parentèle prostituée.
Dans l'île sur de Jamaïque, certains membres des Bobos Shanty, Ashanty, ou Dread (bobo = choisi) sont au cur de cette propagande. Il s'agit d'une congrégation rasta vieille d'un demi-siècle qui prône une vie rigoriste en s'appuyant pour cela sur l'idéologie de son fondateur, Prince Emmanuel Charles Edwards, mort en 1994 et se nommant lui-même : « Roi Emmanuel Charles Edwards, dirigeant du gouvernement et du peuple de l'EABIC (Ethiopia African Black International Congress), église du Salut dont je suis le Fondateur, Leader, Président, Grand Prêtre, Dieu et Roi, Ras des Ras, septième Adonaï, champion couronné des droits de l'homme, Moïse, Ambassadeur Royal en mission pour le roi, Seigneur des Seigneurs, Monarque de la suprématie noire etc. »
Ils vivent à Bull Bay, « the city on a hill » où, hormis les percussions nyabinghi, toute autre musique (reggae compris) est considérée comme nuisible à la méditation et par conséquent interdite. La suprématie noire et le rapatriement collectif en Afrique sont les bases du mouvement. Leur Trinité se compose d'Haile Selassié (le roi), de Prince Emmanuel (le Grand Prêtre) et de Marcus Garvey (le prophète). Chez eux, la femme est impure. En période de menstruation, elle doit rester 21 jours recluse et trois mois en cas d'accouchement. En d'autre circonstance, quand elle est « free », son rôle consiste à s'occuper des enfants tout en ne manquant à aucun de ses devoirs domestiques, à l'exception de la nourriture des hommes, domaine exclusif de ceux-ci. Ils se dépensent en prière, en activités collectives agricoles ou artisanales. Eux ont « les mains propres et le cur pur ».
Parmi ceux-ci, quelques riches Bobos, ex ghetto-youths, donnent le ton en ce nouveau millénaire. Leur bizness : la musique proscrite dans le camp : le Dancehall, véritable machine musicale à l'assaut de la planète. Ils ont pour nom Sizzla, Capleton, Anthony B, Jah Thunder, Junior Reid, Determine, Jah Malo, ou encore Ras Shiloh. Les deux premiers étaient en concert à la Martinique respectivement en juillet puis en aôut. Deux shows orchestrés avec brio dans une ambiance survoltée et résolument pacifique. Leur leïtmotiv : le feu, le « Faya burning », le « More fire », la purification
un pyro-lexique que chantaient déjà les anciens nyabinghis, mais avec des relents plus symboliques et spirituels. Aujourd'hui les voix du ghetto se parent d'une rage affirmée contre la société blanche, contre le Vatican et son pape, l'ONU ou les homosexuels. Les critiques de l'instrumentalisation armée des ghettos jamaïcains, les dérives politico-mafieuses et les messages de paix du roots reggae se font plus rares. A contrario, dans les Antilles créoles sous domination française, l'influence des bun-lyrics et leurs thématiques ne cessent de croître. Tous les jours, de nouveaux sectateurs naissent dans les rangs de la génération dancehall avec pour mentors les stars du ragga antillais.
Désormais l'intolérance la plus extrême se travestie en refrain entraînant et dansant. Ici, elle cible en priorité les femmes libérées ou de « petites vertus », les sorciers séanciers, et surtout les homosexuels. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter les dernières compilations et les derniers albums du cru. En vérité, la liberté d'expression se porte à merveille dans le milieu reggae-ragga, et c'est une véritable aubaine pour la société qu'aucune censure ne vienne entraver la marche de cet impératif civil. Il est important que ces voix se manifestent et disent haut et fort ce qu'elles aiment et ce qui les offensent, ce qu'elles croient et ce qu'elles « fayaburnent », ce qu'elles pensent et ce qu'elles souhaitent. Il est tout autant nécessaire que les différentes communautés Rasta, longtemps ciblées par des politiques ou des civiles peu tolérants et insensibles à leur forme de résistance multimodale, ne soient pas une fois de plus regardées comme les chantres de cette incandescente intolérance.
Cependant, il est aussi légitime de réfléchir sur les moyens de combattre l'expression violente de ces brûlantes idées qui une fois de plus, le mardi 21 août 2003, se sont extériorisées par l'agression au coutelas de deux homosexuels sur la plage des Salines. Qu'importe que les agresseurs soient des admirateurs manipulés de nos chanteurs new age made in homophobie. En réalité l'écho de ces idées dépasse largement le cadre des adeptes de sound system. Quant au silence des professionnels de la musique, du monde artistique et des diffuseurs d'informations sur ces thématiques haineuses, il en dit peut-être long sur l'adhésion tacite à ce genre de propagande dans un pays où l'homme est un loup pour la femme, un défenseur inconditionnel de la virilité comme religion nationale, et du macoumère comme figure diabolique. Je me demande souvent ce que cache notre amour de la camaraderie et des beuveries masculines, ce plaisir de la vie en meute virile et fière
? Si l'interdiction de nuire à autrui est un fondement de nos sociétés, n'avons-nous pas le devoir de combattre la propagande meurtrière des homophobes tropicaux ?
Quoiqu'il en soit, ceux qui « pratiquent » l'amour du sexe jumeau n'ont qu'à bien se tenir : après le « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme » des temps bibliques, désormais aux Antilles, sur les chaînes de télévision, sur les fréquences radio, les walkmans, dans les soirées privées, les sounds systems, et les night-clubs, à coup de « Batty boy dead now », des appels au bûcher ou à leur destruction physique sont émis tous les jours pour la plus grande joie des « hétéro-catho ».
Mais au juste, l'amour et la sexualité active entre deux êtres conscients et consentants, sont-ils nuisibles à la société humaine ?